mercredi, juin 26

Port chinois au Pérou : le gouvernement a intérêt à apaiser les tensions

Le Pérou a demandé à un juge de retirer sa demande visant à retirer à une entreprise publique chinoise les droits exclusifs d’exploitation d’un « mégaport » qu’elle est en train de construire sur la côte Pacifique du Pérou, ont indiqué des sources à l’agence de presse, Reuters, apaisant les tensions ainsi entre les deux pays.

Le gouvernement péruvien avait demandé en mars l’annulation de sa décision d’accorder à Cosco Shipping Ports, basée à Hong Kong, les droits exclusifs d’exploitation du terminal portuaire en eau profonde de Chancay qu’il est en train de construire, citant une « erreur administrative ».

Une source proche de l’autorité portuaire péruvienne a déclaré à Reuters qu’un procureur du ministère des Transports avait « formellement demandé » le retrait de sa demande initiale le 24 juin.

Cette annonce intervient quelques jours avant la rencontre entre la présidente péruvienne, Dina Boluarte, et les dirigeants de Cosco. Cette dernière devrait s’entretenir avec le président chinois Xi Jinping lors d’une visite en Chine.

Cette demande d’annulation semble résoudre un différend juridique entre l’entreprise Cosco et le gouvernement de Dina Boluarte qui avait fait craindre un processus d’arbitrage international.

D’après l’une des sources de Reuters, l’autorité portuaire péruvienne avait autorisé la semaine dernière le procureur à faire cette demande. Car le Congrès avait approuvé des modifications à la loi portuaire péruvienne ayant ouvert la voie pour garantir à Cosco Shipping les droits exclusifs d’exploitation du terminal qu’elle est en train de construire.

Les représentants de l’entreprise chinoise Cosco au Pérou n’ont pas commenté la décision du gouvernement péruvien. Toutefois, les autorités péruviennes espèrent que le mégaport de Chancay, estimé à 3,5 milliards de dollars, deviendra une plaque tournante dans le Pacifique sud-américain.

Cosco Shipping prévoit d’inaugurer le mégaport de Chancay en novembre, à l’occasion du sommet des dirigeants de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC) qui se tiendra à Lima, du 13 au 15 novembre.

Le mégaport chinois s’élève sur la côte pacifique

Le nouveau mégaport chinois sur la côte pacifique devrait dynamiser les liens commerciaux entre l’Amérique du Sud et la Chine. Ce port en eau profonde devrait entrer en service à la fin de l’année 2024 et offrir à la Chine une porte d’entrée directe vers cette région riche en ressources.

Le port, détenu majoritairement par la société d’État chinoise Cosco Shipping, sera le premier contrôlé par la Chine en Amérique du Sud. Il pourra accueillir les plus grands cargos, qui pourront se diriger directement vers l’Asie, réduisant ainsi la durée du voyage de deux semaines pour certains exportateurs.

La Chine et le Pérou espèrent que Chancay deviendra une plaque tournante régionale, tant pour les exportations de cuivre de la nation andine que pour le soja de l’ouest du Brésil, qui transite actuellement par le canal de Panama ou longe l’Atlantique avant d’être acheminé vers la Chine.

« Le mégaport de Chancay vise à faire du Pérou un centre commercial et portuaire stratégique entre l’Amérique du Sud et l’Asie », a déclaré Juan Mathews Salazar, ministre péruvien du commerce, à Reuters. Mais il servira aussi à renforcer les coopérations économique et commerciale entre la Chine et le Pérou.

S’inscrivant dans le cadre de l’Initiative « la Ceinture et la Route », le nouveau port est devenu le syumbole de la conccurence entre la Chine et les États-Unis et l’Europe, qui cherchent à contrer l’influence croissante de Pékin en Amérique latine. Or la puissance commerciale de la Chine lui a permis de gagner des alliés et d’exercer une influence sur les forums politiques, la finance et la technologie.

Les travaux de construction ont commencé en 2018 à Chancay, à quelque 80 kilomètres au nord de Lima. La première phase de Chancay devrait être achevée en novembre 2024.

« Ce port fait partie de la nouvelle route de la soie de la Chine », a déclaré Mario de las Casas, directeur des affaires générales de Cosco Shipping, qui détient une participation de 60% dans le port. Le reste est contrôlé par le mineur local Volcan, dans lequel Glencore détient une participation.

Le gouvernement péruvien prévoit de créer une zone économique exclusive près du port et la société chinoise Cosco souhaite construire un centre industriel près de Chancay pour traiter les matières premières, qui pourraient inclure des céréales et de la viande en provenance du Brésil, avant de les expédier vers l’Asie.

L’ambassadeur du Brésil au Pérou, Clemente Baena Soares, a déclaré en janvier 2024 que « c’est une opportunité pour la production de céréales et de viande – en particulier de Rondonia, Acre, Mato Grosso et Amazonas – d’aller en Asie via le port de Chancay ».

Selon lui, « les entreprises brésiliennes sont ravies de la possibilité de ne pas utiliser le canal de Panama pour acheminer leurs marchandises vers l’Asie ». Toutefois, il a souligné que le gouvernement péruvien devra investir dans une route existante, l’autoroute interocéanique, qui part du sud du Pérou et traverse les Andes jusqu’au Brésil, afin d’améliorer les voies de transport. Une liaison ferroviaire, dont on parle depuis longtemps, reste à l’état d’étude.

La Chine concurrence directement les Etats-Unis

La Chine a dépassé les États-Unis en matière de commerce en Amérique du Sud et en Amérique centrale durant la présidence républicaine de Donald Trump. Pourtant, son administration avait mis en garde la région contre les risques d’une trop grande proximité avec la Chine. Or sous la présidence de Joe Biden, l’écart s’est creusé malgré les tentatives d’inverser la tendance.

Les fonctionnaires américains adoptent expliquent désormais que les États-Unis offrent à la région d’autres choses que le commerce, notamment des investissements dans les industries de haute technologie. Un moyen de contrer la Chine. Mais « je pense qu’utiliser la métrique du commerce pour évaluer l’influence de la Chine n’est pas une méthode exacte », a déclaré à Reuters, à Buenos Aires, Juan Gonzalez, conseiller de la Maison Blanche et directeur principal de l’hémisphère occidental au sein du Conseil de sécurité nationale.

« Nous sommes confiants dans notre capacité à concurrencer la Chine », a-t-il ajouté, exhortant les gouvernements régionaux à s’assurer que le commerce avec Pékin n’est pas soumis à des « conditions politiques ».

Cependant, la Chine affirme que son commerce et ses investissements en Amérique latine sont bénéfiques pour les deux parties. Entre 2018 et 2022, les exportations chinoises vers l’Amérique latine ont bondi de 70%. De plus, en 2022, le commerce entre la Chine et l’Amérique latine et les Caraïbes a atteint le chiffre record de 495 milliards de dollars.

Un changement notable en dix ans

En 2014, le Pérou, deuxième producteur mondial de cuivre, réalisait des échanges légèrement supérieurs à ceux de la Chine. Producteur de cuivre au monde, le Pérou commerçait davantage avec les États-Unis qu’avec la Chine. Aujourd’hui, la Chine a une avance de plus de 10 milliards de dollars dans le commerce bilatéral, selon les dernières données annuelles.

Selon l’agence de presse Reuters, les dépenses d’infrastructure de la Chine consolident son rôle de partenaire clé en matière de commerce et d’investissement pour l’Amérique du Sud, défiant le ralentissement économique dans le pays et les avertissements des États-Unis au sujet du commerce avec Washington.

Ce changement est pourtant pragmatique, car la Chine a besoin du cuivre et du lithium des Andes sud-américaines, ainsi que du maïs et du soja des plaines d’Argentine et du Brésil.

En 2023, Pékin a renforcé ses liens avec l’Uruguay et la Colombie en les transformant en « partenariats stratégiques », cette dernière étant un allié des États-Unis.

Le président argentin Javier Milei, autrefois très critique à l’égard de la Chine, a assoupli sa position depuis son entrée en fonction en décembre 2023, reflétant ainsi l’importance de Pékin pour l’économie argentine en pleine crise.

La Chine est le premier acheteur de soja et de bœuf argentins et dispose d’une ligne d’échange de devises de 18 milliards de dollars avec le pays, que le gouvernement argentin, à court d’argent, a utilisée pour payer sa dette, notamment auprès du Fonds monétaire international (FMI).

La Chine et le Pérou de nouveaux alliés

Les échanges commerciaux entre le Pérou et la Chine ont doublé au cours de la dernière décennie pour atteindre 33 milliards de dollars en 2022, grâce à l’augmentation des exportations de cuivre.

Au cours de la même période, la Chine a investi quelque 24 milliards de dollars dans les mines péruviennes, le réseau électrique, les transports et la production d’énergie hydroélectrique.

Les exportations vers la Chine ont augmenté de 9,3% au cours des onze premiers mois de l’année 2023, selon les données du gouvernement, soit une croissance plus rapide que celle des exportations vers les États-Unis (5,3%). Le Pérou a un excédent commercial de 9,4 milliards de dollars avec la Chine et un déficit de 1,3 milliard de dollars avec les États-Unis.

La présidente péruvienne Dina Boluarte a rencontré le président chinois Xi en novembre 2023 lors du forum de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC) à San Francisco. Ils ont échangé sur le port de Chancay, qui, selon la porésidente, constitue un « coup de pouce important au libre-échange et aux nouveaux investissements chinois ».

Eric Farnsworth, ancien conseiller de la Maison Blanche et fonctionnaire du département d’État, aujourd’hui expert en Amérique latine au Council of the Americas et à l’Americas Society, a expliqué que « la Chine profite de notre absence et c’est un vrai problème ». Pour lui, le port a renforcé la position de force de la Chine au Pérou et a créé un « point d’appui » dans la région.

Dans le cadre de son projet « Belt and Road », il est impératif sur le port de Chancay soit une réussite, mais les infrastructures régionales manquent, notamment les routes et les chemins de fer, devront être améliorées pour permettre l’acheminement des marchandises, y compris les céréales en provenance du Brésil.

« Le problème actuel est le manque de connexions régionales, ce qui est très complexe pour la réussite du projet », a déclaré Fernando Reyes Matta, ancien ambassadeur du Chili en Chine. Malgré cela, « l’Amérique latine est devenue un nouveau champ de bataille pour ces minéraux entre les États-Unis, l’Europe et la Chine », a indiqué ce dernier.

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