mardi, septembre 10

Ce « 9éme FOCAC ne peut pas passer inaperçu »

Le Dr Fabrice Onana Ntsa, historien, spécialiste des questions Chine-Afrique, a interviewé pour Chine-Magazine.Com, le journaliste Cyrille Essissima du journal camerounais « Quotidien Mutations » sur les relations entre la Chine et le Cameroun, ainsi que le prochain FOCAC qui se tient à Pékin.

Du 3 au 6 septembre 2024, se tiendra à Beijing le 9éme Forum sur la coopération sino-africaine. Quelle est la portée de cet évènement ?

Comme vous le mentionnez, la capitale chinoise abrite dans quelques jours le 9éme Forum sur la coopération sino-africaine (FCSA) en abrégé en anglais FOCAC (Forum on China Africa Cooperation). Disons d’emblée que le FOCAC est l’institution qui consacre le multilatéralisme dans la politique africaine de la Chine. C’est une plateforme de consultations et de dialogues collectifs entre la Chine et les pays africains.

La tentative de compréhension de la portée de cet évènement exige d’intégrer au moins trois éléments d’analyse. D’abord, l’identité des acteurs : la Chine et l’Afrique. Il faut dire que les qualificatifs abondent concernant la Chine. C’est le pays qui a réussi le plus grand exploit de développement dans l’histoire en un lapse de temps. Ses indicateurs économiques renseignent suffisamment sur sa puissance et son influence dans le monde est aujourd’hui est une certitude.

L’Afrique quant à elle est le continent d’avenir. Il abrite la population la plus jeune du monde, ses potentialités naturelles sont uniques à la surface du globe et ce n’est pas un hasard si les politiques africaines se sont multipliées et bonifiées entre temps. Ensuite le nombre des acteurs en présence, une donnée non négligeable en Relations Internationales.

Le FOCAC met quand même en scène la Chine et les 53 pays africains avec lesquels elle entretient des relations diplomatiques. Il faut enfin intégrer les enjeux géopolitiques et géostratégiques actuels. Il n’échappe à personne que la schématisation progressive du monde multipolaire aujourd’hui laisse tout de même entrevoir une opposition claire entre le Nord et le Sud Global dont la Chine et l’Afrique constituent des composantes essentielles.

A partir là, on comprend aisément que ce 9éme FOCAC ne peut pas passer inaperçu. C’est un grand rendez-vous diplomatique d’un Sud dont la construction et les mutations ne peuvent être au goût des puissances occidentales jadis dépositaires exclusifs du monde. Pour tout dire, le FOCAC sera évidemment scruté à travers le monde pour pouvoir apprécier la dynamique des relations sino-africaines. C’est dans ce sens que le discours du Président Xi Jinping le 5 Septembre prochain constitue la clé de voute de ce grand banquet multilatéral du Sud.

Après 9 éditions, peut-on véritablement dire que la coopération sino-africaine se construit sur du gagnant-gagnant ?

Lorsqu’une puissance initie une coopération avec un espace, elle évalue d’abord la qualité des relations que cet espace entretenait avec les autres partenaires afin de proposer un concept d’entrée fiable. C’est ainsi que Beijing a proposé à l’Afrique le gagnant-gagnant. Il faut aussi rappeler que le gagnant-gagnant est le 3éme principe de la politique africaine de la Chine après l’amitié/la fraternité et la non-ingérence dans les affaires de politique interne. Le gagnant-gagnant suppose les avantages, les gains réciproques de part et d’autre dans le partenariat, et est un correctif des relations que le continent africain entretenait avec les partenaires traditionnels.

Dans les faits, il faut bien dire que depuis les années 1950, les diplomaties du béton et du chéquier de la Chine Populaire ont bien construit l’Afrique. Dans les quatre coins du continent, stades, routes, autoroutes, ponts, adduction d’eau, barrages, bâtisses et autres ont été réalisé avec le concours de l’Empire du Milieu. Dans les faits au Cameroun, et pour ne pas aller loin dans l’histoire, l’autoroute Yaoundé – Nsimalen, la construction de l’immeuble siège de l’Assemblée Nationale, le financement et la réalisation du projet PAEPYS témoignent de la jutosité d’un partenariat fraternel.

L’accès aux ressources naturelles africaines, les nombreux marchés gagnés, le succès des produits chinois sur le continent ou encore la disposition des partenaires-alliés sur la scène internationale constituent bien ce que gagne la Chine et valide une coopération réciproquement bénéfique. Le gagnant-gagnant n’est donc pas une vue de l’esprit, au contraire, ce principe diplomatique chinois, ancien, participe au développement de l’Afrique et à lui donner sa dignité dans les relations internationales actuelles.

On a vu le Président Paul Biya aux sommets Etats-Unis – Afrique, Russie – Afrique … pensez-vous qu’il doive se rendre personnellement à Beijing ?

La réponse, c’est lui-même qui l’a donnée en 1986 en Allemagne lorsqu’il précisait que ‘’le Cameroun n’est la Chasse gardée de personne’’. Le numéro un camerounais restait ainsi fidèle à un principe fondateur de la diplomatie camerounaise à savoir le non alignement. A mon humble avis, l’art diplomatique du président Biya est l’un des pans de son magistère qui pourrait mettre la majorité d’accord. Ce qui est intéressant pour cet homme d’Etat, c’est coopérer avec des partenaires utiles pour le développement du pays et le bien-être des populations.

Aujourd’hui, la Chine est un ami fidèle et efficace, un partenaire clé du Cameroun dans pratiquement tous les domaines de la vie économique du pays bien que l’on puisse regretter que le déficit commercial entre les deux pays ait atteint 714 milliards de FCFA l’année dernière. Interrogé sur la présence chinoise au Cameroun et ce qu’apporte véritablement ce grand pays d’Asie à son pays, on se souvient tous de la réponse du président Biya en ces termes « beaucoup d’amitié, certains projets, on coopère, comme avec la France. La Chine n’enlève rien à personne » ; comme pour dire que le Cameroun est ouvert à tout partenaire crédible et utile.

En clair, les enjeux géopolitiques actuels, les enjeux de ce neuvième FOCAC, la place de la Chine dans l’économie camerounaise et ses goûts des grands rendez -vous internationaux amènent à croire que le Président Biya devrait tout logiquement rallier Beijing dans quelques jours pour qu’aux côtés de ses pairs, et à la fin des conciliabules, que brille davantage l’amitié sino-africaine.

Comment le Cameroun perçoit-il la « Small and Beautiful Initiative » ?

N’ayant pas approché les responsables étatiques et n’ayant pas également procédé à un sondage auprès des masses, il est difficile de répondre avec précision à cette question. Le sujet demeure une grande inconnue au Cameroun et en Afrique en général. Les chefs d’Etats africains en seront davantage édifiés certainement. Ce qu’il faut dire tout de même est que dans le cadre de l’Initiative la Ceinture et la Route, la Chine a désormais une préférence pour des projets « petits mais beaux » d’où la transcription anglaise « Small and Beautiful Initiative ».

Depuis qu’il a été lancé, ce programme mondial d’infrastructures dirigé par Pékin et visant à relier l’Eurasie, l’Afrique et l’Amérique latine est en train de subir un changement, annoncé par Xi Jinping le 18 Octobre 2023 lors du troisième Forum de la Ceinture et la Route pour la coopération internationale. Il parlait alors de « Small and yet smart ». Les grands projets d’infrastructures doivent désormais céder la place à des projets de moins grandes envergures, beaux, axés sur les secteurs de l’énergie, la technologie entre autres.

Cette nouvelle approche d’investissement dans le cadre de la Belt and Road Initiative aura un impact sur l’échelle, le schéma de financement, les principaux acteurs et l’orientation géographique. Il faut cependant s’interdire de penser que l’ère des grandes réalisations de la chine en Afrique est révolue. Il faut davantage comprendre la « Small and Beautiful Initiative » comme un outil de la restructuration de la présence économique chinoise en Afrique. Ces dernières années n’ont pas été très paisibles pour les autorités de Zhongnanhai qui ont été accusées, à travers leurs colossaux investissements, de mettre en mal l’environnement et les valeurs démocratiques en Afrique, sans oublier le soupçon qu’elles alimentent une « diplomatie du piège de la dette » sur le continent.

La « Small and Beautiful Initiative » me semble donc être une réponse à ces allégations et davantage un instrument de réorganisation de l’investissement chinois en Afrique. Voilà certainement comment le Cameroun, les pays et les peuples africains devront percevoir cette nouvelle approche de financement chinoise.

N’est-ce pas un peu discriminatoire de la part de Pékin d’appliquer différemment l’Initiative la Ceinture et la Route aux pays du Sud en leur proposant plutôt la « Small and Beautiful Initiative » ?

Non, il ne s’agit pas d’une démarche discriminatoire de Pékin en faveur ou au détriment du Sud. Il s’agit plutôt d’une réponse de l’Empire du Milieu face aux critiques formulées en son encontre au sujet des gigantesques investissements dans le cadre de l’Initiative la Ceinture et la Route. Comme nous le disions plus haut, on lui reproche entre autres d’entretenir une « diplomatie du piège de la dette » et de porter atteinte à l’environnement. Le Président Xi Jinping a donc procédé à cette retouche dans le souci certainement d’un aggiornamento de l’engagement chinois en Afrique.

Il faut aussi relever que certaines thèses expliquent cet ajustement par la mauvaise santé de l’économie chinoise. Une explication que nous ne partageons pas véritablement. Pour finir, les travaux du FOCAC à venir sont très attendus par tous. Le plan d’action des trois prochaines années sera scruté et analysé pour apprécier les réelles intentions actuelles de Beijing en Afrique. Retenons tout de même que cette rencontre est avant tout et au-delà de tout un rendez-vous de la célébration de l’amitié et la fraternité sino-africaines.

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