lundi, janvier 6

Joe Biden et Xi Jinpnig font le choix de la facilité

De Project Syndicate, par Stephen S. Roach – « Un sommet Biden-Xi plus fructueux ? », titrais-je dans mon article du mois dernier, en plaçant l’accent sur le point d’interrogation, pour la simple et bonne raison que le sommet de l’an dernier avait été un échec.

À l’issue d’une mauvaise préparation et d’une insistance excessive sur les éléments de langage (bâtir les « fondations » d’une relation sino-américaine en difficulté), les efforts d’apaisement des tensions avait rapidement été anéantis par la destruction par les États-Unis d’un ballon de surveillance chinois au mois de février. Rien ne garantissait que la rencontre de San Francisco serait plus réussie.

Bonne nouvelle, le sommet de San Francisco s’est révélé plus concluant que celui de l’an dernier. Pour commencer, les deux parties ont pris cette année beaucoup plus au sérieux les préparatifs. L’engagement diplomatique de haut niveau a en effet repris cet été, avec les visites à Pékin du secrétaire d’État américain Antony Blinken, de la secrétaire du Trésor Janet Yellen, de la secrétaire au Commerce Gina Raimondo, ainsi que de l’envoyé spécial pour le climat John Kerry. Mais tout aussi important, une identification a été menée au préalable concernant les questions clés sur lesquelles les deux dirigeants pourraient coopérer et éventuellement s’entendre.

Mon dernier article visait notamment à fournir un cadre permettant d’évaluer le sommet de San Francisco. Mon verdict provisoire du lendemain se fonde sur une comparaison minutieuse des comptes rendus officiels qui ont émané des deux camps, sur la conférence de presse du président américain Joe Biden à l’issue du sommet, sur le discours du président chinois Xi Jinping devant un groupe de chefs d’entreprise américains lors d’un dîner à San Francisco, ainsi que sur les reportages approfondis présentés par les principaux médias concernant l’événement.

Sans surprise, du moins selon le cadre que j’avais élaboré, la plupart des progrès ont concerné des réalisations relativement évidentes, c’est-à-dire ce que j’ai appelé les «fruits les plus accessibles». Deux domaines se démarquent ici : la reprise des communications d’armée à armée, et les efforts de collaboration face à la crise du fentanyl.

Les tensions dans le détroit de Taiwan ainsi qu’en mer de Chine méridionale ne montrant aucun signe d’apaisement, aucun des deux camps ne pouvait se permettre de risquer une nouvelle interruption des communications militaires, comme celle qui avait eu lieu durant le fiasco du ballon. En tant que superpuissances responsables, les deux pays n’ont eu d’autre choix que de rétablir un dialogue régulier entre leurs départements de la Défense. Quant à la crise du fentanyl aux États-Unis, les chiffres parlent d’eux-mêmes, les overdoses d’opioïdes synthétiques constituant l’une des principales causes de décès parmi les Américains âgés de 18 à 45 ans. Cette crise effroyable a mis en lumière la chaîne d’approvisionnement chinoise des précurseurs chimiques du fentanyl, et la nécessité évidente que Pékin use de son influence pour y remédier.

D’autres fruits moins généreux ont également été cueillis à San Francisco. Outre un engagement conjoint consistant à augmenter les vols directs l’an prochain, ainsi qu’une reconnaissance commune de la nécessité d’élargir les échanges culturels, sportifs et commerciaux, Xi Jinping a déclaré que la Chine était prête à accueillir 50 000 jeunes Américains dans le pays pour des programmes d’échange et d’études au cours des cinq prochaines années. Par ailleurs, l’annonce de Xi selon laquelle la Chine était prête à poursuivre sa coopération avec les États-Unis en matière de protection des pandas s’est révélée une agréable surprise ; après le récent départ de trois pandas de Washington DC, cette déclaration a évidemment touché une corde sensible chez de nombreux Américains amoureux des animaux, dont je fais partie.

Dans mon dernier livre intitulé «Accidental Conflict», je souligne l’importance de trouver un terrain d’entente pour rétablir la confiance. Un agenda commun fait cruellement défaut dans cette ère d’escalade des tensions sino-américaines. Il n’existe pas de recette simple pour dissiper la méfiance mutuelle, en particulier après l’animosité des cinq dernières années et demie, et le fait d’avoir cueilli à San Francisco les fruits les plus accessibles constitue un premier pas minime mais important sur la voie de la résolution des conflits.

J’aimerais pouvoir en dire de même dans deux autres domaines nécessitant une résolution des conflits : les menaces existentielles (changement climatique et santé mondiale) auxquelles les deux pays sont confrontés, ainsi que les améliorations dans les structures de coopération. Unique exception notable, la déclaration dite de Sunnylands, conclue à la veille du sommet de San Francisco, promet de mettre en place un nouveau groupe de travail pour faire progresser la coopération climatique en vue de la prochaine Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP28) à Dubaï. En revanche, aucune percée significative en matière de gouvernance de l’intelligence artificielle, à l’exception d’un accord sur la nécessité de pourparlers bilatéraux afin de réduire les risques liés aux systèmes d’IA avancés. Aucune percée non plus en matière de cybersécurité, de droits de l’homme, ou concernant les tensions territoriales – autant de questions sur lesquelles un dialogue de sourds règne depuis de nombreuses années entre les deux superpuissances.

Concernant les structures de coopération, il s’est agi pour l’essentiel de diplomatie, le passage à un modèle institutionnalisé susceptible d’approfondir et perpétuer les liens ayant très peu été abordé. Ce n’est guère surprenant, dans la mesure où la rencontre a été conduite par les diplomates des deux camps. Ce constat me laisse néanmoins perplexe, compte tenu de l’échec du sommet de Bali l’an dernier. En effet, bien que je considère une diplomatie habile comme nécessaire pour amorcer un virage en direction de l’engagement, de la coopération et de la confiance, ces compétences ne garantissent pas une relation résiliente, capable de résister à des turbulences inattendues. Cette année, c’est le ballon de surveillance chinois qui a posé problème – qui sait quel pourrait être le prochain aléa ?

En cette ère de dirigeants politiquement contraints et au cuir peu épais, je continue de penser que la résolution des différends entre les deux superpuissances nécessite davantage qu’une diplomatie personnalisée. L’institutionnalisation demeure essentielle en complément d’une résolution diplomatique des conflits. Non retenue à San Francisco, l’idée d’un secrétariat États-Unis-Chine reste mon option préférée pour renforcer les outils nécessaires au désamorçage des conflits ainsi qu’au rétablissement de la relation bilatérale.

Certes, le sommet de San Francisco relevé le niveau par rapport aux objectifs peu ambitieux fixés à Bali. Un certain nombre de questions profondes subsistent néanmoins quant aux contours du conflit sino-américain, en particulier en ce qui concerne les questions économiques, commerciales et technologiques qui l’ont précipité. Il est étonnant que ces questions figurent si peu dans les comptes rendus d’un sommet de quatre heures. Il a finalement été plus facile pour Biden et Xi de cueillir les fruits les moins haut perchés.

Stephen Roach

Stephen S. Roach, membre du corps enseignant de l’Université de Yale, et ancien président de Morgan Stanley Asie, est l’auteur des ouvrages intitulés Unbalanced: The Codependency of America and China (Yale University Press, 2014) et Accidental Conflict: America, China, and the Clash of False Narratives (Yale University Press, 2022).

Copyright: Project Syndicate, 2023.
www.project-syndicate.org

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