mardi, septembre 10

L’Acte 9 du FOCAC : enjeux d’un sommet présidentiel en présentiel en contexte de « Small and Beautiful initiative »

Par Fabrice ONANA NTSA / PhD – Dans première semaine du mois de septembre prochain, la République Populaire de Chine (RPC) abrite le 9éme Forum sur la Coopération Sino-Africaine (FCSA) en abrégé en anglais FOCAC (Forum of China – Africa Cooperation).

Institué en l’an 2000, le FOCAC qui se tient tous les 3 ans, est la formalisation du multilatéralisme, affectionné par la Chine Populaire depuis 1949 dans sa relation avec les pays africains. Du 3 au 8 septembre 2024 donc, le président Xi Jinping accueillera ses homologues africains dans le cadre d’un FOCAC dont le contexte et les enjeux rendent particulier.

Le FOCAC 2024 sous fond d’inquiétudes et de lueurs d’espoir

A moins que la Mpox ne prenne des allures inquiétantes d’ici là, la rencontre à venir à Beijing sera chaleureuse, contrastant nettement ainsi avec le distanciel imposé par la COVID 19 il y’a 3 ans à Dakar au Sénégal. Cette chaleur sera tout de même tempérée au regard des diverses mutations et des inquiétudes de part et d’autre.

La controversée « Small and Beautiful Initiative » comme cadeau du 10éme anniversaire de la « Belt and Road Initiative »

L’an dernier, l’Initiative la Ceinture et la Route (ICR) connue en anglais sous l’expression ‘’Belt and Road Initiative’’(BRI) a célébré son 10éme anniversaire. Nous savons que l’ICR, proposée à l’humanité par le Président Xi Jinping le 7 Septembre 2013 au Kazakhstan, ambitionne, au travers de grands projets d’infrastructures, parvenir à une connectivité entre l’Eurasie, l’Afrique et même l’Amérique Latine.

Seulement, dans le cadre de cet anniversaire, le numéro un chinois a procédé à une retouche en présentant une nouvelle approche dans l’engagement chinois dans les pays du Sud : c’est la « Small and Beautiful Initiative« . Cette dernière qui s’explique à Beijing n’est forcément pas bien accueillie par les peuples et tous les chefs d’Etas africains qui rallient l’Empire du Milieu.

En clair, la Small and Beautiful Initiative suggère la disposition des autorités chinoises de procéder désormais à des investissements « petits mais beaux » dans le cadre de l’ICR. Cette approche d’investissement qui intègre une nouvelle échelle, un nouveau schéma de financement, une nouvelle orientation géographique semble sonner le glas des ronflantes et trébuchantes sommes qui provenaient constamment de la Chine.

Les allégations occidentales sur l’existence en Chine d’une « diplomatie du piège de la dette », les incidences environnementales de nombreux grands projets en Afrique constituent les deux raisons fondamentales qui justifient cette révision du modus operandi chinois dans le cadre de ces nouvelles routes de la soie. Les chefs d’Etats africains devront sans doute en apprendre davantage au moment où les effets de cette approche nouvelle sont tout de même réels.

Tenez, en 2016, les prêts chinois à l’Afrique s’élevaient à 30 milliards de dollars. Ils sont estimés en 2023 à 2,2 milliards de dollars. Il semble bien que la Chine ne soit plus disposée à donner comme avant. Aux chefs d’Etats africains d’en comprendre les tenants et les aboutissants afin de jeter les bases des engagements futurs.

La concurrence grandissante à la Chine – Afrique : un motif d’inquiétude ?

Si l’on s’est habitué aux sommets Chine-Afrique, France-Afrique, Etats-Unis – Afrique, Russie-Afrique, Brésil-Afrique ou encore Japon-Afrique, il va falloir intégrer dorénavant les sommets Italie-Afrique et Corée-Afrique. Ces derniers confirment ainsi l’attraction dont l’Afrique fait l’objet sur la scène internationale et dont la présence chinoise ici est le principal mobile. Commençons avec l’Italie qui, les 28 et 29 janvier derniers a accueilli à Rome, le sommet Italie-Afrique sous le thème « un pont pour une croissance commune ».

Sous la présidence du G7 de Giorgia Meloni, Première Ministre italienne, il s’est agi pour l’Italie de marquer sa présence aux côtés du continent africain en proposant un plan d’aide d’environ 6 milliards de dollars destinés au développement de l’Afrique avec en filigrane la lutte contre les migrations illégales en Italie.

Pour ce qui est de la Corée du Sud, il faut bien se dire que cet autre grand pays d’Asie a décidé lui aussi de pousser ses pions en Afrique. Du 4 au 5 juin dernier, Ilsan et Seoul ont abrité le premier sommet Corée-Afrique sous le thème « l’avenir que nous construisons ensemble : croissance partagée, durabilité et solidarité ».

Ce sommet qui a réuni de nombreux chefs d’Etats et de gouvernements africains ainsi que les chefs des organisations internationales, incarne bien la promesse de la Corée de s’engager à contribuer à la croissance mutuelle, à renforcer la coopération et la solidarité afin de créer un avenir durable avec l’Afrique. Il est surtout question pour le pays du matin frais de ne pas être absent dans la course pour la future gouvernance mondiale dont l’Afrique risque être le bon arbitre.

Le Japon l’a compris il y a quelques décennies déjà et l’on assistera l’année prochaine, du 20 au 29 août 2025 à Yokohama, à la 9émme édition de la TICAD (Tokyo International Conference on Africa Development), pendant laquelle certainement, le pays du soleil levant continuera de mettre en place son agenda africain. Tous ces rendez-vous dédiés à l’Afrique sont certes dignes d’intérêts pour l’Afrique, mais ils sont loin d’être un adjuvant de la présence chinoise dans le continent.

Les assurances de la Global Development Initiative (GDI), de la Global Civilization Initiative (GSI) et de la Global Security Initiative (GSI)

Les patrons d’Afrique arrivent en Chine au moment où se déploient trois nouveaux piliers du remodelage du système internationale que Pékin appelle de tous ses vœux. Il s’agit de la Global Development Initiative (GDI), de la Global Civilization Initiative (GSI) et de la Global Security Initiative (GSI). Trois concepts diplomatiques qui manifestent en réalité l’humanisme, la solidarité et les intentions de Pékin.

Commençons avec l’Initiative pour le Development Global (IDG). Elle est proposée par le Président Xi Jinping dans son discours lors du débat général de la 76éme session de l’Assemblée Générale des Nations Unies. Face aux affres de la pandémie à Covid 19, stupéfait devant les chiffres du rapport sur les objectifs du développement durable 2021 publié par l’ONU qui fait état de ce que 119 à 124 millions de personnes vivent dans l’extrême pauvreté, le Président chinois exhortait alors le monde à rester attaché au développement en tant que priorité, à rester engagé dans une approche centrée sur les personnes, à rester engager dans les avantages pour tous, à rester engagé dans un développement axé sur l’innovation, à rester engagé dans l’harmonie entre l’homme et la nature et enfin, à rester engagé dans des actions axées sur les résultats. Il faut bien rappeler que cette initiative devrait répondre aux défis pressants auxquels sont confrontés les pays, surtout ceux du Sud Global. En redéfinissant ainsi les priorités du développement en renouvelant les engagements envers les objectifs de développement durable, en revitalisant les partenariats mondiaux et en réactivant la coopération au développement, la Chine a élaboré une feuille de route pour réduire l’écart entre le Nord et le Sud et remédier au déséquilibre de développement. Un sujet qui plaira bien aux délégations africaines, qui demanderont certainement plus que les 100 projets dont ont déjà bénéficié près de 40 pays en développement.

L’Initiative pour la Civilisation Mondiale (ICM) est le deuxième gadget diplomatique chinois qui meublera sans doute aussi les discussions sino-africaines dans quelques jours. Elle est proposée une fois de plus par Xi Jinping, le 15 Mars 2023 lors de la réunion de dialogue de haut niveau du Parti Communiste Chinois (PCC) avec les partis politiques mondiaux à Beijing, dans le cadre de son discours intitulé « travailler main dans la main sur la voie de la modernisation ». Selon les autorités de Zhongnanhai, l’ICM est la réponse de la Chine à la question de la modernisation et ses multiples dérapages. Il est question pour Pékin, à travers cette initiative, de faire progresser la modernisation aux caractéristiques nationales distinctes, promouvoir les échanges inter-civilisationnels, l’apprentissage mutuel dans le monde entier et construire la communauté de destin pour l’humanité. L’Initiative pour la Civilisation Mondiale s’adosse sur 4 piliers : Premièrement, le respect de la diversité des civilisations dans le monde en transcendant les barrières civilisationnelles en promouvant les échanges entre civilisations. Deuxièmement le partage des valeurs communes à l’humanité que sont la paix, la justice, le développement, l’équité, la démocratie, la liberté. Troisièmement, la promotion conjointe du patrimoine civilisationnel et de l’innovation et enfin, la préconisation du renforcement des échanges et de la coopération internationale en matière de sciences humaines et explorer la construction d’un réseau mondial de dialogue et de coopération entre civilisations. Le Global Civilization Initiative qui prône en un mot l’harmonie dans le respect de la différence culturelle et historique des peuples arrive comme une bouffée d’oxygène pour l’Afrique dont les aides promises par le Nord sont bien souvent conditionnées par la validation d’une certaine législation qui passe mal dans le berceau de l’humanité. Le GCI a donc le mérite de communiquer le sens du respect dont ont longtemps été privé les pays africains. Respect des différences culturelles, sociales et historiques. Un acte clair en provenance de l’Empire du Milieu qui concourt à vrai dire au processus de dignification de l’Afrique dans ses Relations Internationales, dont nous parlons depuis quelque temps.

Il y a enfin l’Initiative pour la Sécurité Mondiale proposée toujours par le numéro un chinois le 21 avril lors du Forum annuel de Boao. Les pays du monde aujourd’hui sont pris en otage par une multitude de problèmes sécuritaires. Dans ce contexte, Xi Jinping a proposé le Global Security Initiative dans le souci d’offrir une nouvelle approche pour s’attaquer aux causes profondes des conflits internationaux et résoudre les problèmes de sécurité auxquels l’humanité est confrontée. Pour cela, l’initiative s’appuie sur des engagements parmi lesquels : défendre le principe de sécurité indivisible, construire une architecture de sécurité équilibrée, efficace et durable ; s’opposer à la construction d’une sécurité nationale sur la base de l’insécurité des autres ; résoudre pacifiquement les différends entre les pays par le dialogue. Pour parvenir aux résultats escomptés, la Chine a créé au sein de l’Institut Chinois d’Etudes Internationales, le Centre d’Etude sur l’Initiative pour la Sécurité Mondiale. Selon le rapport 2024 de ce centre justement, l’Initiative a déjà reçu le soutien et la reconnaissance de plus de 100 pays ainsi que des organisations Internationales et régionales. Qu’il s’agisse d’un prolongement ou d’une reconfiguration des principes de la coexistence pacifique, une chose reste constante : la Chine n’est ni belliqueuse, ni militariste et l’éventualité d’une paix mondiale ne pourra se faire sans elle.

Comme on le constate, le 9éme sommet du FOCAC qui pointe à l’horizon intervient dans un contexte d’inquiétude et d’incertitudes charriées par la Small and Beautiful Initiative et la pluralité constante des politiques africaines à travers le monde. Les signaux de lueurs d’espoirs que sont le GDI, le GCI et le GSI sont tout de même émis par Beijing. Une situation qui accentue les enjeux de ce grand rendez-vous multilatéral.

Les enjeux du FOCAC 2024

Comme on peut bien se l’imaginer dans l’arène des Relations Internationales, les assises sino-africaines de Beijing à venir sont importantes au regard des trois grands enjeux qui transparaissent à l’analyse. Il s’agit bien pour nous, plus d’une tentative de lecture et d’analyse que de prédictions certaines.

L’enjeu de la participation

Comme nous le disions plus haut, le variant Omicron de la COVID 19 n’avait pas permis des retrouvailles entre chefs d’Etats africains et chinois à Dakar. Par ailleurs, la multiplication des offres ces derniers mois des autres partenaires de l’Afrique contribue à faire de la participation à ce neuvième FOCAC un enjeu important. Face aux effets de la Small and Beautiful Initiative et au regard de l’offensive des autres puissances sur le continent, la participation à ce FOCAC se présente bien comme une aiguillon qui permettra à Beijing d’évaluer sa politique africaine actuelle. C’est justement sous cet angle qu’il faut comprendre la précocité de l’officialisation de la date exacte de cette rencontre sino-africaine. Prenons ce premier élément et ajoutons-y le fait que de nouveaux hommes soient arrivés à la tête de nombreux Etats entre temps et que, des rencontres au sommet entre ces derniers et Xi Jinping n’aient pas encore eu lieu, et l’on comprend davantage l’enjeu autour de la participation à ce FOCAC qui se présente en réalité pour l’Empire du Milieu comme une opportunité de réaffirmer l’union des vues avec l’Afrique.

L’enjeu politique autour de la construction du Sud Global

De nombreux travaux à l’instar du Consensus de Dar Es Salam né de la 13éme rencontre des chercheurs chinois et africains dans le cadre du China – Africa Think Tank Forum valide l’opérationnalisation d’un monde multipolaire au sein duquel se configure progressivement le Sud Global. La Chine qui en est la cheville ouvrière, voit donc en ce FOCAC une occasion supplémentaire de propagande, du moins, d’affermissement de son discours relatif au Sud Global et aux BRICS + qui en sont une composante. D’ailleurs, en janvier dernier, l’Egypte et l’Ethiopie ont officiellement rejoint ce groupe de pays émergents et plusieurs autres ont, ou pourraient officiellement déposer des demandes d’adhésion. L’enjeu politique de ce 9éme Focac, au-delà de l’évaluation et la projection de la politique africaine de la Chine, devrait porter davantage sur l’essence et la configuration du Sud Global et la place qui doit être celle de l’Afrique dans ce grand ensemble politico-économique en construction.

Le triple enjeu économique

L’enjeu économique de la rencontre à venir entre Xi Jinping et ses homologues africains n’est pas en reste. Il s’articule autour de trois points essentiels :

D’abord, il est question d’évaluer les engagements pris à Dakar en 2021. Dans la capitale sénégalaise, la Chine s’était engagée entre autres, à lancer 10 projets agricoles supervisés par 500 experts agricoles chinois ; à initier 9 autres projets dans les domaines de la santé, de l’innovation digitale, du développement vert et des domaines culturels ; à créer un centre yuan transfrontalier Chine-Afrique qui devait offrir aux institutions financières africaines une ligne de crédit de 10 milliards de dollars, sans oublier la promesse liée aux doses de vaccins. Dans le souci de faciliter l’accès à son marché aux pays pauvres, Pékin avait procédé en 2022 à la réduction des droits de douane sur 98% des importations taxables en provenance du Benin, du Burkina Faso, de Guinée Bissau, du Lesotho, du Malawi, de Sao Tomé, de la Tanzanie, de l’Ouganda et de la Zambie. Cette décision n’a malheureusement pas porté des fruits et la balance commerciale est restée déséquilibrée. En 2023 par exemple, les exportations chinoises vers l’Afrique s’élevaient à 172 milliards de dollars tandis que les importations se situaient autour de 109 milliards de dollars.

Ensuite, des échanges sur la Small and Beautiful Initiative permettront à Xi Jinping de mieux expliquer à ses amis africains les contours de cette nouvelle approche d’investissements en contexte de Belt and Road Initiative. Car il faut bien le dire, dans la praxis, l’aide chinoise seraient en train de basculer des grosses sommes d’argent à la priorisation des secteurs des Nouvelles technologies, de l’énergie ou encore celui des transports. Une réorientation qui n’est pas toujours au goût de nombreux chefs d’Etats africains.

Enfin, le dernier enjeu économique renvoie les patrons d’Afrique à leurs responsabilités. Rallieront-ils la capitale chinoise avec des agendas cohérents ? qu’ils soient individuels ou collectifs, l’on s’attend bien qu’ils y aillent avec des plans d’action, des agendas, des projets sur lesquels ils pourront discuter avec la partie chinoise afin d’obtenir des résultats tangibles. Car, on a bien l’impression que, si les peuples africains ne semblent pas bénéficier véritablement de ces rencontres multilatérales, c’est certainement aussi parce que nos dirigeants y vont en rangs dispersés et quelque fois stratégiquement impréparés.

En somme, le 9éme FOCAC qui se tient du 3 au 8 septembre prochain à Beijing est un grand rendez-vous de l’amitié et de la fraternité sino-africaine. Malgré les inquiétudes, les incertitudes et les lueurs d’espoir qui constituent le contexte dans lequel va se dérouler ce grand banquet multilatéral du Sud, au regard des multiples enjeux en jeu, il n’en demeure pas moins vrai que cette nouvelle borne que s’apprête à franchir l’idylle sino-africaine fera une part belle à la consolidation du Sud Global cher à Xi Jinping et à la promotion du bien-être des peuples africains et chinois.

Dr. ONANA NTSA Fabrice, Historien, spécialiste des questions Chine-Afrique

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *