De Projet Syndcate, par Stephen S. Roach – Je n’ai vu que du déni lors de mon récent voyage en Asie après l’élection américaine, avec des arrêts à Hong Kong, Shenzhen, Pékin et Singapour. S’inspirant de l’envolée des marchés boursiers mondiaux, les Asiatiques s’efforcent d’oublier les problèmes qu’ils rencontrent dans leur pays et à l’étranger.
Nulle part ailleurs cela n’est plus évident qu’en Chine. Le président Xi Jinping souligne depuis longtemps sa préférence pour les « bonnes histoires de la Chine ». Alors que le ralentissement économique chinois est le plus grave depuis les années 1970, les tentatives du gouvernement pour donner une tournure positive aux perspectives du pays se sont intensifiées. L’amélioration du sentiment des marchés boursiers — le 8 octobre, le CSI 300 était 35% au-dessus de son niveau le plus bas du 13 septembre — a été le premier point abordé dans toutes mes discussions. Peu importe que ce rebond, qui s’est depuis partiellement inversé, soit purement le produit de l’intervention de l’État.
Les marchés boursiers sont connus pour envoyer de faux signaux. C’est certainement le cas des marchés baissiers, dont le lauréat du prix Nobel d’économie Paul Samuelson a dit qu’ils avaient prédit « neuf des cinq dernières récessions [américaines] ». C’était également le cas des tristement célèbres rebondissements du Japon : le Nikkei 225 s’est redressé quatre fois de 34% en moyenne avant de chuter de 66% au total entre décembre 1989 et septembre 1998. Néanmoins, les Chinois s’accrochent aux récents gains boursiers comme preuve que le dernier plan de relance entraînera une reprise économique vigoureuse.
La comparaison avec le Japon touche une corde sensible en Chine. J’ai eu une discussion particulièrement frustrante avec un haut responsable chinois de la réglementation qui a admis être préoccupé par les fortes baisses des marchés immobiliers et boursiers, l’endettement croissant du pays, les premiers signes de déflation et les vents contraires résultant d’une faible productivité et d’une main-d’œuvre vieillissante. Lorsque j’ai fait remarquer qu’il s’agissait là de caractéristiques classiques de la récession bilancielle du Japon, le même fonctionnaire s’est empressé de rejeter cette possibilité.
Je n’ai pas mentionné l’avertissement lancé en mai 2016 par une « personne chinoise faisant autorité » en première page du Quotidien du Peuple, l’organe officiel de l’État, selon lequel la Chine pourrait tomber dans un bourbier semblable à celui du Japon. Je n’ai pas non plus évoqué la description prémonitoire faite en 2007 par le premier ministre Wen Jiabao de l’économie chinoise comme étant « instable, déséquilibrée, non coordonnée et non viable ». Bien que j’aie répété ces arguments en Chine au fil des ans, j’ai choisi de me mordre la langue à cette occasion. Peut-être étais-je encore sous le choc d’avoir été réduit au silence lors du Forum sur le développement de la Chine, au début de l’année, par des organisateurs uniquement intéressés par les bonnes histoires de la Chine.
Mais cette vague de déni ne se résume pas à la réticence de la Chine à admettre la gravité de ses problèmes. J’ai été particulièrement frappé par la tendance à ignorer les conséquences négatives d’un choc commercial potentiel si le président élu Donald Trump tenait sa promesse de campagne d’augmenter les droits de douane américains de 20% sur toutes les importations et de 60% sur les importations en provenance de Chine, une promesse qu’il a depuis réitérée.
Le consensus en Asie est que Trump bluffe pour obtenir un accord rapide. Après tout, il a adopté une approche similaire lors de sa première guerre tarifaire avec la Chine en 2018-19, qui a abouti à l’accord commercial malheureux de la « phase un » de 2020. Compte tenu de l’affaiblissement de son économie, nombreux sont ceux qui pensent que le gouvernement chinois sera encore plus conciliant aujourd’hui qu’il ne l’était à l’époque. En Asie, on parle d’un sommet début 2025 entre Trump et Xi, qui pourrait ouvrir la voie à un nouvel accord entre les États-Unis et la Chine.
Cela rappelle ce qui s’est passé en 2017. À l’époque, Trump et Xi s’étaient rencontrés lors de deux sommets fastueux, avec des dîners somptueux à Mar-a-Lago et à Pékin. Trump, particulièrement séduit par le cadre historique de la Cité interdite, s’est tourné vers Xi, les yeux brillants de d’amitié virile, et lui a dit: « Mon sentiment à votre égard est incroyablement chaleureux. » Nombreux sont ceux qui s’attendent à ce qu’ils profitent d’un autre moment très médiatisé pour conclure une nouvelle fois un accord rapide – ou du moins entamer le processus qui pourrait y conduire.
En Asie, la mémoire est manifestement courte. Alors que Trump et Xi échangeaient des toasts à Pékin, le représentant américain au commerce de l’époque, Robert Lighthizer, travaillait d’arrache-pied à la préparation du rapport de la section 301 sur les pratiques commerciales déloyales de la Chine, qui est devenu le modèle du programme tarifaire de Trump en 2018-19. Malgré toute la fanfare, les sommets de 2017 ont été rapidement suivis d’une guerre commerciale qui fait toujours rage aujourd’hui – ce qui n’est pas exactement l’issue que les optimistes fixés sur l’accord en Asie semblent imaginer.
Le déni était également très présent à Hong Kong. Cela faisait neuf mois que j’avais écrit mon article controversé dans le Financial Times, intitulé « It pains me to say Hong Kong is over » (Il m’est pénible de dire que Hong Kong, c’est fini). Le rebond du Hang Seng reflétant celui du CSI 300, on m’a demandé à plusieurs reprises si j’avais changé d’avis. Lorsque j’ai fait part de mes inquiétudes persistantes concernant les trois problèmes cités dans mon article de février – les liens étroits entre Hong Kong et la faiblesse de l’économie chinoise, les tirs croisés du conflit sino-américain et l’assombrissement du climat politique à la suite des manifestations de 2019 – mes hôtes polis ont levé les yeux au ciel. L’un d’eux est allé jusqu’à m’offrir une casquette de baseball rouge portant l’inscription « Make Hong Kong Great Again ».
J’ai depuis longtemps adopté un cadre quasi psychologique dans mon diagnostic de la rivalité entre les États-Unis et la Chine, qui présente les caractéristiques classiques de la co-dépendance. Mes amis psychologues me rappellent également une chose qui a été évidente lors de ma dernière visite en Asie : le déni est la plus puissante de toutes les défenses humaines.
Stephen S. Roach, membre de la faculté de l’université de Yale et ancien président de Morgan Stanley Asia, est l’auteur de Unbalanced : The Codependency of America and China ( Yale University Press, 2014) et Accidental Conflict : America, China, and the Clash of False Narratives ( Yale University Press, 2022).
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