
Par Léon-Marie NKOLO NDJODO – Le soutien des pays africains à la Chine sur la question du Xinjiang est constant dans les instances internationales, en particulier au sein de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Cet appui sans faille s’enracine dans la longue tradition de coopération et de soutien mutuel entre l’Afrique et la République populaire de Chine depuis l’admission de cette dernière dans l’Organisation des Nations Unies avec une majorité de voix africaines.
La Résolution 2758 (XXVI) de l’Assemblée générale du 25 octobre 1971 soutint cette admission de la République populaire de Chine en tant que membre permanent du Conseil de sécurité tout en reconnaissant le principe d’une seule Chine1. En tant que bloc le plus important de l’Assemblée générale des Nations Unies, l’Afrique à elle seule compte 28% des voix, contre 27% pour l’Asie, 17% pour les Amériques et 15% pour l’Europe occidentale.
En outre, l’Afrique compte pour un quart des votes dans les organes directeurs du système des Nations Unies: elle constitue par exemple le bloc majoritaire à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et dans des organisations internationale comme le groupe des 77, ou le Mouvement des Non-alignés.
Au sein du G20, l’Union Africaine (UA) représente 53 pays africains, et ces derniers jouent un rôle considérable dans les BRICS et d’autres organisations ou clubs du Sud global. Dans chacune de ces plateformes, la Chine a pu compter sur le soutien indéfectible des pays africains. Ainsi en est-il des évènements dans le Xinjiang, province autonome du nord-ouest de la Chine en proie à des secousses séparatistes.
Qu’est-ce qui motive ce positionnement de l’Afrique en faveur de la Chine sur la question ouïghour et quels faits militent à l’appui de ce soutien? Quel sens peut-on accorder à ce soutien africain au regard de l’histoire ancienne et récente du Xinjiang? Enfin, quelle est l’importance stratégique du Xinjiang dans le développement global de la Chine en rapport notamment avec l’initiative La Ceinture et la Route et la mise en oeuvre de la communauté de destin partagé pour l’humanité en tant que vision chinoise d’une mondialisation inclusive et harmonieuse? Notre analyse portera sur: les votes africains à l’ONU en faveur de la Chine sur la question du Xinjiang; les ressorts historiques à l’appui de cette position; et le rôle clé de la région du Xinjiang dans les Nouvelles Routes de la Soie, rôle susceptible de justifier des attaques en provenance du bloc atlantiste.
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Résultats et sens des votes africains à l’ONU en soutien à la Chine sur la question du Xinjiang
Sur la question du Xinjiang, le vote africain aux Nations Unies en faveur de la Chine a été toujours clair, massif, constant et ferme. Les résultats des votes attestent de cette solidité du soutien africain.
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Les votes africains
Lors de la 41e session du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies, le 13 juillet 2019, 37 pays dont 15 d’Afrique ont co-signé une lettre dans laquelle ils «félicitent la Chine pour ses remarquables réalisations en matière de droits humains2». Citons parmi ces pays: le Soudan, le Togo, l’Égypte, le Zimbabwe, la Somalie, l’Angola, l’Algérie, le Burundi, les Comores, le Congo, République démocratique du Congo, l’Érythrée, le Nigeria, le Gabon, le Soudan du Sud). Ces pays reconnaissent que «face au grave défi du terrorisme et de l’extrémisme, la Chine a pris une série de mesures efficaces de lutte contre le terrorisme et de déradicalisation dans le Xinjiang, notamment la création de centres d’enseignement et de formation professionnels».
À la 42e session du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies en octobre 2020, aucun pays africain n’a signé la déclaration présentée par les pays occidentaux visant à condamner la politique conduite par la Chine dans le Xinjiang. En dépit des allégations de la Ligue des Droits de l’Homme sur la supposée répression politique, ethnique et religieuse dans le Xinjiang par le gouvernement chinois, la communauté internationale regroupée au sein des Nations Unies n’a jamais accédé aux demandes occidentales3. Le 6 octobre 2020, les travaux de la Troisième Commission des Nations Unies chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles ont vu l’Éthiopie et Madagascar, deux pays africains, défendre la position chinoise sur le Xinjiang en estimant qu’il s’agit d’affaires intérieures de la Chine, qui doivent être traitées dans le cadre de la loi et loin de toute ingérence extérieure.
Durant la 46e session du Conseil des droits de l’Homme du 12 mars 2021, une déclaration commune de soutien à la Chine sur la question du Xinjiang a recueilli, à l’initiative de Cuba, les signatures de 64 pays, dont de nombreux pays africains. Ils sont au total 80 pays dans le monde à avoir soutenu sans réserve la position de la Chine et à s’être opposés aux initiatives occidentales. De même, le 22 juin 2021, 90 pays, dont des pays africains, ont exprimé leur soutien à la Chine au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies en réaction à une déclaration commune d’un groupe de pays occidentaux menés par le Canada mettant en accusation la Chine sur des sujets liés au Xinjiang4. Parmi ces pays, un nombre de 65 se sont opposés aux ingérences dans les affaires intérieures de la Chine sous le prétexte des droits de l’homme.
Le 21 octobre 2021, 43 nations réunies autour de la France lisent une «Déclaration commune transrégionale sur le Xinjiang», critiquant la Chine au Xinjiang et appelant Pékin à autoriser l’accès immédiat d’observateurs indépendants dans la région. Une déclaration concurrente de 62 pays, dont ceux d’Afrique, soutient la Chine et rejette toutes les allégations d’abus comme fondées sur des motivations politiques, des préjugés idéologiques, la désinformation et le mensonge. Cette déclaration concurrente rejette les prétentions de la Secrétaire générale d’Amnesty International, Agnès Callamard, sur «les violations du droit international relatif aux droits humains au Xinjinang» par la Chine. Ces pays contestent surtout la tentative d’instrumentalisation des instances internationales par certaines puissances qui veulent pousser à la «création d’un mécanisme sous l’égide des Nations Unies chargé d’enquêter sur les violations des droits humains dans la région du Xinjiang5».
Enfin, le 6 octobre 2022, le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies a rejeté le projet de décision visant à ouvrir un débat sur les violations des droits de l’homme dans la région chinoise du Xinjiang par 19 voix contre et 11 abstentions des membres de l’ONU, ce qui a fait la différence sur les 17 votes en faveur du projet. Au rang des pays à s’être opposés au projet, ou à s’être abstenus, se trouvent 12 pays africains: le Cameroun, la Côte-d’Ivoire, l’Erythrée, le Gabon, le Sénégal, la Mauritanie, la Namibie, le Soudan, le Bénin, la Lybie, la Gambie et le Malawi. Sur les 17 voix en faveur du projet, il n’a été compté qu’un seul pays africain, la Somalie, dont le vote a constitué un mystère, le reste des pays favorables appartenant au bloc occidental. Le Conseil des Droits de l’Homme a rejeté la demande d’un débat sur le Xinjiang par une dizaine de pays, dont les Etats-Unis, le Royaume Uni, la France, le Canada, l’Australie et plusieurs pays européens.
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Le sens des votes africains
Il ressort de ces quelques faits qu’il existe sur la question du Xinjiang une nette rupture de consensus entre l’Afrique et le reste du monde, entre le Sud global, avec les pays africains en peloton de tête, et le bloc euro-américain. Cette démarcation s’explique par la conviction que les critiques occidentales sur la politique chinoise dans le Xinjiang sont motivées par des considérations politiques. Les Africains perçoivent les reproches et remontrances occidentales adressées à la Chine sous l’angle de l’hégémonisme et de la mentalité coloniale. Ils considèrent qu’il s’agit d’un cas typique du harcèlement habituel exercé par les riches puissances industrialisées, les démocraties libérales du Nord sur les nations faibles du Sud. Le Sud global, l’Afrique en particulier, n’adhère pas au narratif sur sur les camps d’internement ou d’extermination, les prisons, les rectrictions généralisées sur la culture et la religion des Ouighours, les stérilisations forcées des femmes, les crimes contre l’humanité commis par les autorités chinoises.
Constante, cette position africaine s’applique non seulement au Xinjiang, mais aussi à d’autres dossiers dans lesquels l’intégrité territoriale et la souveraineté chinoises sont menacées du fait des pressions extérieures. C’est le cas du Tibet, de Hong-Kong et de Taïwan (Ettinger, 2024). Sur toutes ces questions, l’Afrique poursuit avec la Chine la solidarité qui unissait les peuples de l’ancien monde colonisé et opprimé, et dont la Conférence afro-asiatique de Bandung en 1955 marqua le grand réveil. Les pays africains et asiatiques – conduits par la République populaire de Chine qui était représentée par le Premier Ministre Zhou Enlai – posaient les bases d’un monde nouveau fondé sur l’abolition du colonialisme, la lutte contre le racisme, la reconnaissance du droit des peuples à l’autodétermination et l’indépendance nationale, l’affirmation du droit de chaque nation à choisir sa propre voie de déloppement économique et son système politique, le rejet de l’ingérence dans les affaires intérieures, le refus de l’usage unilatéral de la force en dehors du droit international basé sur la Chartes des Nations Unies, la reconnaissance de l’égalité des nations petites ou grandes, la coexistence pacifique des civilisations, le désarmement nucléaire6. Ces principes avaient en partie été inspirées par les Cinq Principes de la Coexistence pacifique entre les pays formulés quelques années plutôt par le Parti communiste chinois avant de former les pilliers principaux de la diplomatie chinoise. Ils serviront de base philosophique au mouvement des Pays Non Alignés qui refusaient, depuis la Conférence de Belgrade en 1961, de choisir entre l’Est et l’Ouest, le monde socialiste et le monde capitaliste, et privilégiaient la voie d’un développement indépendant basé sur les réalités historiques et les conditions nationales. Coalition née en 1964 au sein des Nations Unies pour faire valoir les intérêts politiques et économiques des pays en développement, le Groupe des 77 participent du même esprit de l’essor du Tiers-monde.
De nos jours, c’est au sein des BRICS que ce qu’on appelle désormais le Sud global tente de faire revivre l’esprit de Bandung dans les conditions nouvelles du monde post-hégémonique et post-occidental. En imprimant une nouvelle mondialisation marquée par la reconnaissance de la souveraineté des États, la fin de la domination impériale américaine, la réorganisation du monde par l’abolition des sphères d’influence, le début d’un équilibre réel des puissances, le multilatérisme effectif, le développement pacifique commun et la prospérité partagée, le Sud global engage la re-Wesphalisation du monde. Ce processus a été rappelé au dernier sommet des BRICS à Kazan, en Russie, le 22-24 octobre 2024.
Devenue le leader du monde émergent grâce au spectaculaire essor économique obtenu par la politique de Réforme et d’Ouverture et la réorientation de la tâche centrale du Parti communiste chinois sur le développement économique et la sortie de la pauvrété (Xi, 2016), la Chine a déployé d’importants efforts dans le but de remodeler les institutions et les normes mondiales existantes selon les caractéristiques chinoises de paix, d’harmonie, de coexistence pacifique (Nantulya, 2003)7. Elle a développé ce qu’elle qualifie elle-même de «diplomatie aux caractéristiques chinoises»: globale, multilatérale, multi-niveau, multi-face (Xi, 2017: 9). En juin 2018 au cours de la Conférence centrale sur le travail relatif aux Affaires étrangères, le leader central chinois, Xi Jiping, soulignait l’importance de prendre en compte les nécessités aussi bien domestiques qu’internationales, de travailler en priorité à la renaissance de la Chine et à la promotion du progrès humain, et de contribuer à construire une communauté de destin pour l’humanité8. Xi Jinping indiquait que dans la mondialisation du 21e siècle, la Chine assumerait un destin universel, puisqu’elle lie son propre développement au développement du monde. Elle se concentre sur la mission de porter la civilisation mondiale à un stade supérieur sur les plans matériel, spirituel et écologique, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives d’épanouissement pour l’humanité.
Cette nouvelle civilisation mondiale est impossible sans une réforme de la gouvernance mondiale. Cette réforme oblige la Chine, dotée de l’initiative La Ceinture et la Route comme instrument d’opérationnalisation, à déployer une «diplomatie de grand pays à la chinoise» adossé à un réseau plus complet de partenaires internationaux. Cette «diplomatie du loup guerrier9», comme la qualifie certains en raison de son offensive, vise à rééquilibrer la scène mondiale pour un ordre international plus juste, équitable, équilibré, inclusif, transparent, harmonieux, respectueux de la diversité des peuples. Les XIXe et XXe Congrès du Parti communiste chinois, en 2017 et 2022, ont réaffirmé l’attachement de la Chine à un ordre mondial sans colonialisme, hégémonisme, impérialisme ou exceptionnalisme. Au 3e Plénum du Comité central du XXe Congrès du Parti communiste chinois (PCC), tenu du 9 au 12 mars 2024, la Chine a de nouveau exprimé son engagement à poursuivre une voie de développement pacifique qui exclut le pillage, les invasions, l’exploitation et l’oppression des autres peuples.
Ces efforts de la Chine reposent en grande partie sur le soutien des pays africains. La Chine et l’Afrique défendent ensemble une vision multipolaire du monde, des droits humains et de la société internationale. Cette vision met en avant le développement économique pacifique, la non-ingérence, la non-confrontation, le respect de la souveraineté, la tranquillité, le bénéfice mutuel, la non-alliance, le refus des blocs et des sphères d’influence.
Sous le mandat de Xi Jinping, ces liens entre la Chine et l’Afrique se sont considérablement renforcés, poursuivant en cela une tradition héritée de Mao Zedong et exemplifiée par la solide amitié qui liait le dirigeant chinois au grand panafricaniste afro-américain, W.E.B Dubois. Dans son adresse à la Chine et à l’Afrique le 3 mars 1959 à l’Université de Péking, W.E.B Dubois exhortait l’Afrique à apprendre de l’expérience de la Chine et de l’Union soviétique pour éviter les pièges de l’impérialisme occidental; il mettait l’Afrique en garde contre les dangers de la dépendance économique et politique vis-à-vis de l’Occident, et soulignait l’importance de l’éducation, de la culture et de la souveraineté nationale dans le développement de l’Afrique selon le modèle chinois10. Mao Zedong estimait pour sa part que la Chine communiste avait une dette de gratitude à l’égard de l’Afrique qui avait courageusement porté son admision à l’Organisation des Nations Unies en 1971. Depuis cette période, les accords bilatéraux et régionaux entre la Chine et l’Afrique comprennent toujours deux composantes: le principe d’une seule Chine et le soutien mutuel sur les questions de gouvernance mondiale.
Quelques faits tirés de la pratique des relations internationales illustrent cette approche commune autant que l’appui constant de l’Afrique aux initiatives chinoises.
En 2017, les membres de l’Union Africaine (UA) ont contribué à l’adoption de la toute première résolution de la Chine au Conseil des Droits de l’Homme (CDH) intitulée «La contribution du développement à la jouissance des droits humains». Sur les 30 voix ayant voté pour, 11 pays africains ont défendu aux côtés de la Chine une vision alternative des droits humains centrée sur le développement économique dirigé par l’État, la «non ingérence», le «dialogue tranquille». En 2020, tous les membres africains du Conseil des Droits de l’Homme, à l’exception d’un seul, ont voté en faveur d’une autre résolution chinoise intitulée «Promouvoir une coopération mutuellement bénéfique dans le domaine des droits humains». Cette résolution (HRC 37/23) insère pour la première fois des éléments de la Pensée de Xi Jinping dans un texte de l’ONU sur les droits humains et introduit une approche des droits humais centrée sur les droits collectifs, par opposition aux droits individuels promus par l’Occident. Le 12 juillet 2021, une nouvelle résolution, «La contribution du développement à la jouissance de tous les droits de l’homme», est votée au Conseil des Droits de l’Homme en reprenant la vision chinoise du droit au développement axé sur le peuple comme droit de l’homme fondamental. Avec 13 voix africaines en sa faveur et l’opposition de la quasi totalité des pays européens et du Japon, la résolution A/HRC/RES/47/11 «considère que le développement et la réalisation des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont interdépendants et se renforcent mutuellement. [Elle] Demande à tous les États de promouvoir le développement durable afin de renforcer la jouissance des droits de l’homme, de parvenir à l’égalité des sexes et de promouvoir l’égalité des chances en matière de développement. [Elle] Demande également à tous les États de promouvoir un développement des peuples, par les peuples et pour les peuples, qui donne sa place centrale à l’être humain11».
Cette solidarité systématique de l’Afrique vis-à-vis de la Chine dans l’arène internationale prolonge le refus du bloc africain de signer toutes les déclarations critiquant les politiques chinoises au Xinjiang, au Tibet et à Hong-Kong. À ces actions de soutien, il faut enfin ajouter les votes africains pour aider les ressortissants chinois à remporter les élections à la tête de quatre des quinze principales agences de l’Organisation des Nations Unies et les postes d’adjoint dans neuf autres12.
Il ressort de ces développements quant au sens et à la signification des votes africains sur le Xinjiang que l’Afrique et la Chine parient sur un nouvel ordre international fondé sur la communauté de destin partagé entre les humains. L’Afrique et la Chine plaident pour une gouvernance mondiale qui met l’accent sur l’harmonie, la paix, la coopération mutuellement bénéfique, la souveraineté et le développement entre les peuples. Elles sont toutes deux opposées à la politique des blocs, la division, la confrontation, la guerre, les sanctions illégitimes. C’est à l’aune de cette conviction partagée avec le Sud global que doit être comprise la dévise de la politique étrangère de la Chine : «Les grandes puissances sont la clé, la périphérie de la Chine la priorité, les pays en développement le fondement, et les plate-formes multilatérales la scène». Continent comprenant le plus grand nombre dd pays en développement, l’Afrique forme également le bloc le plus important au sein de l’Assemblée générale de l’ONU, elle détient un quart des voix dans ses organes. Sur la question du Xinjiang, son soutien à la Chine est décisif.
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Présentation du Xinjiang et de la question ouighoure
Le Xinjiang, appelé officiellement Région autonome ouïghoure du Xinjiang, constitue une des cinq régions autonomes de la République populaire de Chine (RPC).
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Historique de la région
Situé aux confins nord-ouest de la Chine, le Xinjiang a pour capitale Urumqi. Sa population est de 25 millions d’habitants composée de Ouighours (45%), Hans (41%), Kazakhs (7%), Hui (5%), Kirghizes (1%), Mongols (0.8%), Dongxiang (0.3%°, Tadjiks (0.2%) et Xibe (0.2%). Son territoire est d’environ 1.650.000 km2. Le Xinjiang est donc une province multi-ethnique existant au sein d’une Chine multinationale et multiconfessionnelle.
Le Xinjiang a une histoire documentée d’au moins 2500 ans. Son territoire a vu passer différentes cultures dont la plus ancienne est probablement la culture Karassouk, à l’âge de bronze. Dès le IIe siècle av. J.-C., les Chinois entrent dans le territoire du Turkestan oriental en affrontant les Xiongnu. Au 8e siècle, les Ouighours en provenance de la Mongolie et de la Sibérie apparaissent sur les territoires actuels du Xinjiang et du Gansu, et deviennent les alliés des Chinois de la dynastie Tang. Ils se convertissent à l’Islam aux Xe et XIe siècles, sous la poussée des tribus turques. Ils font successivement partie de l’empire des Liao de l’Ouest au XIIe siècle et de l’empire mongole du XVIIe au XVIIIe siècle. Enfin, ils finissent par collaborer avec la dynastie des Qing. Amalgame des résidus des Mongols Dzoungars et des musulmans de Kachgarie et du Gansu, les Ouighours actuels prennent l’appelation de «Ouighours» lors de la conférence de Tashkent en 1921, dénomination qui fut finalement adoptée en 1934 par le gouvernement provincial. Le nom de «Xinjiang», qui signifie en mandarin «nouvelle frontière», remonte aux années 1760. L’appartenance de cette région à la Chine historique ne fait par conséquent l’ombre d’aucun doute, puisqu’elle remonte à deux millénaires au moins, devançant même d’un millénaire et demi l’implantation des populations autochtones actuelles.
De novembre 1933 à avril 1934, une éphémère «République islamique turque du Turkestan oriental» basée sur la Charia voit le jour en pleine guerre civile chinoise. Elle est suivie, entre 1944 et 1949, d’une seconde «République du Turkestan oriental» sous influence soviétique, établie autour de trois villes kazakhes et mongoles du nord du Xinjiang.
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Secousses séparatistes et islamistes
Depuis les années 1990, des mouvements se reclamant de l’islamisme radical salafiste et prônant le djihad révendiquent l’indépendance du Xinjiang sur la base d’une idéologie ethno-nationaliste de la pureté raciale. Les trois forces du terrorisme, du séparatisme et de l’extrémisme ont commis des milliers d’attentats, d’exposions, d’assassinats de civils au Xinjiang et sur le reste du territoire national de la Chine.
Le 5 février 1992, deux bombes explosent dans des autobus à Urumqi tuant trois personnes; à l’automne 1993, d’autres attentats à la bombe frappent deux avions, des entreprises chinoises Han, des centres commerciaux, des marchés et des hôtels; en février 1997, de violents affrontements ont lieu à Yining, une ville de l’Ouest du Xinjiang faisant de nombreux tués; le 27 février 1997, trois bombes explosent dans des autobus à Urumqi tuant neuf personnes et blessant soixante-dix; en janvier, février et mai 1998, des empoisonnements mortels ont lieu à Kashgar de même que quinze incendies volontaires; en juin 1998, des attaques à la bombe sont menées contre des usines, un oléoduc à l’extrême sud-ouest du Xinjiang, des bureaux et des maisons de fonctionnaires chinois explosent; en mars 2000, un leader ouïghour qui refusait de collaborer avec les terroristes est assassiné par balles et le 18 mai l’Almaty World Bank est attaquée; en semtembre 2000, deux policiers chinois sont assassinés par balles à Almaty; en juin 2022, le diplomate chinois Wang Jianping est assassiné à Bishket; le 27 mars 2023, le détournement d’un bus aboutit au massacre de ving-deux passagers; le 5 juillet 2009, des émeutiers en furie font la chasse aux Hans dans les rues d’Urumqi, assassinant brutalement plus de cent quatre-ving dix-sept personnes et mettant le feu à plus de deux cent cinquante véhicules et deux cents magasins; en avril 2013, des terroristes attaquent à l’arme blanche des édifices publics dans le comté de Shanshan, tuant vingt-sept personnes; le 1er mars 2014, un commando ouighour vêtu de noir fait 31 morts dans une attaque au sabre; le 22 mai 2014, des terroristes armés de bombes incendiaires attaquent en voiture un marché d’Urumqi, faisant un carnage de trente-neuf personnes tuées; en juillet 2014, une attaque au couteau à Yarkant fait quatre vingt-seize morts; le 30 juillet 2024, des séparatistes ouighours assassinent l’imam Juma Tahir de la mosquée Id Kah de Kashgar et vice-président de l’Association islamique de Chine; en septembre 2014, une cinquantaine de personnes sont tuées dans le comté de Luntai; en septembre 2015, des séparatistes ouighours attaquent le personnel d’une mine de charbon à Baicheng dans le Xinjiang, tuant plus de cinquante personnes. À ces actes de terrorisme interne et externe, il faut ajouter la présence de dizaines de milliers de combattants Ouighours affiliés à Al Qaeda et Daesh sur le sol syrien pour y mener le Djiahd (Ettinger, 2024)13.
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Les acteurs de la déstabilisation dans le Xinjiang
Les actes terroristes qui portent gravement atteinte aux droits de l’homme fondamentaux des populations locales (le droit de vie, le droit de propriété et la liberté de croyance religieuse) sur le territoire chinois du Xinjiang sont perpétrés par des organisations terroristes telles que ETIM (East Turkestan Islamic Movement) et ETLO (East Turkestan Liberation Organization), ou d’autres mouvements à l’affichage moins violent comme le WUC (World Uyghur Congress).
ETIM est une dangereuse organisation militaire et terroriste, d’idéologie salafiste djihadiste dirigée depuis 2003 par Abdul Haq al-Turkistani, dont l’objectif est de mettre en place un ethno-Etat exclusivement musulman dans le Xinjiang, appelé le Turkestan oriental. Affiliée à Al Qaeda, ETIM prétend par la voix de son leader que le Xinjiang est une «terre pour les seuls musulmans», ajoutant que «la simple présence des mécréants sur cette terre devrait être une raison suffiante pour que les musulmans partent au djihad» en Chine (Macleod, 2021)14. ETIM considère que «la Chine est l’ennemie de toute l’humanité et de toutes les religions à la surface de la terre, le gouvernement chinois devrait quitter la terre du Turkistan oriental de manière pacifique, sinon nous avons le droit de choisir toutes sortes de moyens pour restaurer notre patrie» (O’Connor, 2021)15. Placée sur la liste des organisations terroristes par le gouvernement américain en raison de la lutte mondiale contre le terrorisme, l’organisation ETIM en a été retirée en 2020 au motif que la Chine a fourni peu de preuves qu’il s’agit d’un groupe organisé ou qu’il est responsable des attaques perpétrées dans le Xinjiang.
Quant à ETLO (East Turkestan Liberation Organization), son leader, Anwar Yusuf Turani, a mis en place le «gouvernement en exil du Tukistan oriental», dont il s’est autoproclamé Premier ministre avec pour siège Washington. ETLO, il faut le soligner, entretient de nombreuses relations avec les séparatistes du Tibet, de la Mongolie intérieure et de l’île de Taïwan.
Le WUC (World Uyghur Congress) – avec ses nombreuses branches comme le UAA (Uygur American Association), le UHRP (Uygur Human Rights Project), la CFU (Campaign for Uyghurs) – se présente comme le défenseur pacique du peuple «opprimé» ouïghour du Xinjiang face à l’occupation chinoise, mais peine à dissimuler la double origine panturkiste et islamiste radicale de son idéologie. Poursuivant le rêve d’un Turkestan oriental indépendant, islamique et ethiquement épuré, le WUC fondé en 2004 ne dissimule pas sa mission qui est de provoquer l’effonfrement rapide de la République populaire de Chine et d’établir à sa place un État-nation ethniquement pur dans le Xinjiang.
Les liens de ces mouvements avec les services et gouvernements étrangers, en particulier ceux des États-Unis d’Amérique, sont parfaitement documentés. Leurs racines idéologiques puisent souvent dans l’idéologie fasciste, le christianisme évangélique d’extrême-droite, le salafisme djihadiste, l’utopie du panturquisme ou le nationalisme ethnique de la pureté raciale ouighoure. Habités par un anticommunisme viscéral, ces mouvements ambitionnent de détruire l’État chinois sous sa forme socialiste en laquelle ils voient une manifestation du diable.
Pour cette raison, en 2020, ETIM a subitement été retirée de la liste des organisations terroristes par les États-Unis qui accusaient autrefois ce groupe de recruter des combattants pour le compte d’Al Qaeda dans le but de mener des attaques terroristes et des actes de sabotage en Chine. Le WUC bénéficie de millions de dollars de financement de la part de la NED (National Endowment for Democracy) et entretient des liens étroits avec les terroristes turcs d’extrême-droite appelés les «Loups gris», les nationalistes négationnistes, nippons qui vénèrent les criminels de guerre de la IIe Guerre mondiale, la branche du Kuomintang de Tchang Kai-chek alliée du fascisme (Singh, 2020)16. Nombre de ses membres éminents ont occupé des postes de direction auprès de Radio Free Asia et Radio Free Europe/Radio Liberty, médias gérés par le gouvernement américain et créés par la CIA (Central Intelligence Agency) pendant la guerre froide pour faire de la propagande anticommuniste dans les pays de l’Est. C’est le cas de: Erkin Alptkin; Rebiya Kadeer; Omer Kanat; Ilshat Hassan Kokbore, qui travaille à Booz Allen Hamilton, un entrepreneur privé de l’armée et du renseignement américains; Dolkun Isa, l’actuel président du WUC, lauréat du Prix de la démocratie 2019 de la NED et du Prix des Droits de l’Homme 2016 décerné par la Victims of Commubnism Memorial Foundation (VOC), une organisation d’extrême-droite fondée par le gouvernement américain; Elfidar Itebir, sécrétaire de l’UAA, nommé directeur pour la Chine au Conseil national de sécurité de la Maison Blanche par la première administration Trump. L’UHRP a reçu, quant à lui, plus d’un million de dollars de la part de la NED entre 2016 et 2019. Parmi ses membres, on compte: Nury Turkel, ancien président et co-fondateur du UHRP, nommé en 2020 à la Commission américaine sur la liberté religieuse internationale; et Rushan Abbas, qui a servi au Ministère de la défense et au Département d’État américain (Ettinger, 2024).
Il est tout à fait clair que le séparatisme ouighour est activement soutenu et sponsorisé par le gouvernement des États-Unis d’Amérique, plus largement par l’Occident.
Un autre point souligné par les observateurs concerne le racisme notoire du séparatisme ouighour et les penchants fascistes de ses partisans. Les mouvements qui attaquent la Chine dans le Xinjiang appartiennent pour l’essentiel à la galaxie mondiale de l’extrême-droite. De nombreux Ouighours exilés aux États-Unis affichent une islamophobie tenace et sont souvent proches des mouvements évangéliques de la droite américaine. En Europe, l’un des propagandistes les plus influents de la cause ouighoure et la principale source d’information sur les allégations de «crimes» au Xinjiang est Adrian Zenz. Cet obscur personnage est un fanatique chrétien décomplexé. Il a été Senior Fellow au sein de VOC, un groupe d’extrême-droite fondé en 1993 par Lee Ewards, un ancien membre du «Comité pour la Chine libre» de Tchang Kaï-chek et fondateur de la section américaine de la «Ligue anti-communiste mondiale». Cette dernière est décrite comme un «ramassis de nazis, de fascistes, d’antisémites, d’ignobles racistes et d’égoïstes corrompus» (Ettinger, 2024). A. Zenz est un illuminé évangélique anticommuniste et sinophobe. Auteur d’un livre délirant sur le «retour du Christ-Roi» et le «Jugement dernier», ce fondamentaliste mysogine et antisémite pense qu’à la fin des temps, «le processus de raffinage de Dieu éliminera tous les Juifs mécréants qui refusent de venir à Christ». Il se croit choisi par Dieu pour détruire le communisme en Chine (Ettinger, 2024).
Par ailleurs, l’un des thèmes favoris du séparatisme islamiste ouighour apparaît dans l’affirmation de la race pure. Cette affirmation explique son refus de prendre position sur le drame des musulmans au Proche-Orient. Sa référence idéale dans la construction d’une nation indépendante ouighoure est le mouvement sioniste. Les dirigeants des mouvements ouighours basés aux États-Unis prennent pour modèle Israël avec son nettoyage ethnique en Palestine (Cohen, 2021)17. Ils s’opposent à toute mixité raciale dans le Xinjiang et accusent régulièrement les autorités chinoises de la province de promouvoir les mariages interethniques entre Ouighours et non Ouighours à des fins de dilution de la race ouighoure. Cette opposition au métissage racial remonte au régime de Tchang Kai-chek du temps où ses partisans contrôlaient le Xinjiang et obligeaient les femmes musulmanes à épouser des musulmans. Les séparatistes ouighours actuels ont aussi en partage cette idéologie de la pureté raciale avec les adeptes de la secte Falun Gong et les partisans du dalaï-lama: ce théocrate médiéval ressent la présence des «Chinois» au Tibet comme une menace pour la pérennité des Tibétains en tant que «race distincte» et exhorte les femmes tibétaines en exil à épouser des «Tibétains afin que leurs enfants soient tibétains» (Ettinger, 2024). De telles prises de position rappellent non seulement l’idéologie du Ku Klux Klan dans l’Amérique ségrégationniste, mais les heures les plus sombres du nazisme en Allemagne avec le thème de la pureté de la race aryenne.
En vue de maintenir la stabilité et le développement au Xinjiang, le gouvernement chinois a pris des mesures efficaces de lutte contre le terrorisme et de déradicalisation conformément à la loi. Le Xinjiang a finalement retrouvé son calme, sans aucun cas de terrorisme violent depuis quatre ans. Tous les groupes ethniques s’entendent et les gens vivent en paix et dans l’harmonie. En 2020, le PIB du Xinjiang a augmenté de 3,4%, supérieur à la croissance moyenne nationale de 2,3%. Des millions de personnes sont sorties de la pauvreté.
C’est ce progrès que les Africains saluent chaque fois que la question du Xinjiang est portée aux Nations Unies par les puissances étrangères qui soufflent sur les braises.
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L’enjeu stratégique du Xinjiang en Asie centrale en relation avec le BRI
Comment ne pas s’interroger sur les raisons profondent qui poussent les puissances occidentales à appuyer financièrement, politiquement, médiatiquement et diplomatiquement les mouvements terroristes, islamistes et séparatistes ouighours qui opèrent dans le Xinjiang? Le motif allégué de la défense des droits de l’homme, des libertés et de la démocratie ne suffit sans doute pas à expliquer ce soutien continu à des groupes extrémistes violents en Chine.
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Le défi lancé par les nouvelles routes de la soie à l’hégémonie occidentale
Soulignons tout d’abord que l’essor économique remarquable de la Chine actuelle constitue un défi majeur pour la domination américaine du monde. En lançant son fameux «Pivot vers l’Asie», l’administration du Président Obama entendait réaffirmer le leadership américain sur le monde en assurant la pérennité de la suprématie des États-Unis sur la Chine . Publié en 2021, le nouveau Strategic Competion Act mentionne clairement la nécessité de «repousser l’influence croissante de la Chine dans le monde18». L’intensification de la guerre économique et technologique sous la première administration du Président Trump avec des sanctions financières, commerciales et technologiques visant les entreprises et les produits chinois présente les signes d’une guerre hybride lancée par les États-Unis contre la Chine (Korybko, 2015). Des responsables américains comme le Colonel Lawrence Wilkerson (2018) ont déclaré que l’objectif des États-Unis est de «déstabiliser la Chine» en utilisant les séparatistes ouighours pour fomenter des troubles dans le Xinjiang, forçant ainsi la Chine à pousser son rayon d’action vers l’intérieur au lieu de mobiliser son potentiel économique dans le cadre d’ambitions mondiales19. Ces ambitions mondiales chinoises sont précisément portées par les Nouvelles Routes de la Soie que les États-Unis d’Amérique tentent de bloquer20.
Lancée par la Chine en 2013, le BRI (Belt and Road Initiative) est une initiative mondiale de connectivité économique par les infrastructures (routes, voies ferrée, ports) qui permettent de relier la Chine, l’Asie, l’Europe, l’Afrique, l’Amérique du Sud et les Antilles. Le BRI enregistre la participation d’au moins 130 pays et organisations internationales. Plusieurs composantes sont associées aux Nouvelles Routes de la Soie: économique, politique, culturelle, technologique, écologique, sanitaire et même sécuritaire. La Chine cherche à bâtir une mondialisation harmonieuse et pacifique sur la base du bénéficiel mutuel. En puisant dans son héritage confucéen d’harmonie, elle propose un modèle inclusif d’intégration des marchés, des capitaux, des infrastructures, des réseaux de communications, du numériques, des technologies de l’Intelligence Articificielle et des normes de gouvernance mondiale au niveau de la politique, de la santé, de l’environnement, de la sécurité et de la culture (Xi, 2019).
Plus grande initiative de développement de l’histoire par le montant des investissements et les réalisations, les Nouvelles Routes de Soie permettent à la Chine, État-civilisation continental, de remodeler la mondialisation en renversant les normes édictées par les thalossacraties modernes. Alors que l’Occident capitaliste avait accédé à la suprématie mondiale à l’époque moderne grâce à la conquête des mers, la Chine émerge au 21e siècle comme une grande puissance continentale qui redonne sa place au continent et aux contacts entre les peuples par voie de routes et de chemins de fers. Le philosophe allemand Hegel voyait dans la mer et son mode d’être particulier – la navigation – la destinée finale de l’Idée. Cette dernière brise toutes les déterminismes et les peuples marins sont des peuples de conquérants, car ils incarnent l’Esprit du monde réalisant son oeuvre. La mer a été le moteur de l’histoire par lequel l’Europe moderne a conquis des peuples lointains, les soumettant par la guerre à son ordre impérialiste et colonialiste (Hegel, 1987). Ne négligeant pas la force motrice des océans (La Route de la soie maritime), le BRI rétablit tout d’abord le continent comme le lieu par excellence de la rencontre des peuples, les échanges par voie terrestre se situant dans la continuité des grands contacts humains pacifiques de l’époque antique entre la Chine, l’Asie, l’Europe et l’Afrique.
Or, dans l’antiquité, les réseaux d’itinéraires commerciaux entre la Chine et la méditerannée via l’Asie centrale traversaient le Xinjiang qui constituait leur point de rencontre en direction de l’Eurasie. Les villes-oasis comme Kashgar, Korla, Kucha, Aksu, Turfan se sont développées en tant que lieux de repos pour les voyageurs et plaques tournantes de l’ancienne Route de la soie. Elles ont aussi été des lieux de diffusion non seulement des marchandises, mais aussi des savoirs, des idées, des cultures, servant de leviers au développement des sciences, des arts, de la littérature, de la philosophie, du droit, de la médécine, de l’architecture, de la religion, etc. Le Xinjiang, en tant que pont entre l’est et l’ouest, a été le centre d’un rayonnement culturel exceptionnel, les découvertes, progrès et innovations voyageant avec les caravanes de marchands serpentant le désert.
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Le coeur du développement économique futur de la Chine
De nos jours, le Xinjiang se trouve au coeur du projet chinois des Nouvelles Routes de la Soie. Il constitue un point clé dans le dispositif d’expansion économique mondiale de la Chine. En tournant son économie vers la consommation intérieure, la Chine a simultanément orienté son effort de développement vers ses régions défavorisées de l’ouest, du sud-ouest et du nord-ouest. Il ne pouvait en être autrement du moment où les autorités chinoises avaient clairement indiqué que la nouvelle contradiction fondamentale du pays se situe dans l’aspiration des populations à une meilleure vie et le développement inégal des régions (XI, 2017: 11). Dans cette optique, la région du Xinjing est le théâtre d’impressionnants travaux d’infrastructures. Elle est par exemple totalement connectée au système de transport national par les routes nationales 314 et 315 et par une nouvelle ligne ferroviaire à grande vitesse de 1776 km de long. Cette ligne ferroviaire est également utilisée pour le transport des marchandises vers l’Europe. Elle fait partie d’un corridor intercontinental qui part de la métropole de Lianyungang, dans la province côtière du Jiangsu, et rejoint Rotterdam, le plus grand port maritime d’Europe, en passant par le Kazakhstan, la Russie, le Bélarus, la Pologne et l’Allemagne. Ainsi sur la période de janvier-juillet 2020, en pleine pandémie de la Covid 19, 889 trains de marchandises intercontinentaux en provenance du Jiangsu ont transité par le Xinjiang, un chiffre en hausse de 48% par rapport à la même période de 2019.
C’est donc vers le Xinjiang que convergent les grandes routes commerciales de toute la Chine en tant que lieu de croisement, de transit et finalement de projection de la Chine vers l’eurasie et le monde. La centralité du Xinjiang dans le BRI s’explique par la transformation des régions de l’Ouest de la Chine en nouvelles zones de priorité du développement économique du pays. Grâce aux mégaprojets du BRI, le développement fulgurant du Xinjiang a permis aux communautés défavorisées de bénéficier des avantages d’une meilleure qualité de vie. De nombreuses études, comme celle de la sociologue Danielle Beitrach, montrent que la population ouighoure au Xinjiang a doublé au cours des quarante dernières années, augmentant même de 25% entre 2010 et 2018 (Ettinger, 2024). L’espérance de vie est passée de 30 en 1949 à 74 ans en 2024. Quant au Produit Intérieur Brut (PIB) du Xinjiang, il a bondi de 1000% au cours des vingt dernières années. L’extrême pauvreté a été éliminée dans la région. Le taux d’alphabétisation au Xinjiang est supérieur à 90% et la mortalité infantile y est presqu’inexistante. En 2017, le gouvernement a inauguré un programme d’éducation gratuite sur quinze ans pour tous les lycéens du Xinjinag. En 2020, le Xinjiang a reçu 158 millions de touristes nationaux et 61.000 touristes étrangers. Avec les grands travaux de construction en cours grâce au BRI, ces chiffres devront augmenter.
L’importance stratégique du Xinjiang provient de ce que c’est par cette région chinoise que passe la principale voie terrestre du BRI. Le Xinjiang constitue la veine principale par laquelle passe le sang qui irrigue le corps économique de la Chine: le BRI. Principale voie maritime empruntée par les importations chinoises, le détroit de Malacca est controlé par les États-Unis d’Amérique, ce qui exposerait la Chine à un risque mortel si cette voie était bloquée en cas de conflit. En plus, 400 bases militaires américaines encerclent la Chine.
Sur la base de ces éléments, il est possible de conclure que l’activisme pro-occidental autour du séparatisme ouighour dans le Xinjiang n’a rien à voir avec les droits de l’homme. Il vise un objectif clair: déstabiliser la Chine, provoquer son effondrement économique et politique en coupant les Nouvelles Routes de la Soie en Asie centrale. En déstablisant le Xinjiang, les États-Unis cherchent à couper la principale voie terrestre du BRI. Il s’agit d’une stratégie de «containment» qui vise l’étranglement économique de la Chine et devrait conduire à son affaiblissement définitif en tant que «rival systémique» désigné par l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). L’Occident ne se contente pas de contrer la Chine ailleurs dans le monde (Europe, Afrique, Amérique) avec des initiatives concurrentes comme Build Back Better World ou Global Global Gateway. Il se charge de porter la contestation sur le sol chinois dans la droite ligne du colonialisme classique. C’est finalement au Xinjiang que se joue le projet chinois d’un monde multipolaire, mais aussi le sort de la Chine elle-même comme puissance indépendante. Les séparatistes ouighours sont l’outil de la politique étrangère américaine contre la Chine. L’un des dirigeants ouighours, Erkin Alptekin, n’a d’ailleurs jamais fait mystère de son intention de brader les ressources naturelles du Xinjiang aux multinationales américaines une fois établi l’Etat islamique ouighour sur les terres du Xinjiang avec la charia comme loi.
L’Afrique, partenaire historique de la Chine dans la lutte contre le colonialisme et pour un ordre international plus juste, comprend parfaitement cet enjeu. Elle s’oppose fermement au sinistre projet de déstabilisation de la Chine dans sa province du nord-ouest. Elle est pleinement consciente des dangers qui planent sur la Chine et le monde à travers l’instrumentalisation de la question ouighoure par les puissances occidentales dans les enceintes internationales. En février 2023, une délégation d’ambassadeurs et diplomates africains en provenance du Sénégal, du Bénin, du Mali, du Rwanda, de Madagascar, du Malawi, de l’Ouganda, du Lesotho et du Tchad s’est rendue dans le Xinjiang pour se rendre compte des «réalisations dans la région» ainsi que de «la vie heureuse des résidents locaux21».
Conclusion
La Chine et l’Afrique sont des partenaires indéfectibles. Unies par une histoire commune d’humiliation coloniale et de sous-développement, la Chine et l’Afrique se sont aussi forgées un destin commun d’émancipation et de développement qui se manifeste dans un soutien et une assistance mutuels visibles dans les instances internationales. Sur la question du Xinjiang, l’Afrique, continent qui compte le plus grand nombre de pays en développement de la planète, a toujours fermement défendu la position de la Chine, plus grand pays en développement du monde.
Ce soutien qui se matérialise par des votes constants à l’Organisation des Nations Unies traduit la conviction africaine selon laquelle les critiques occidentales contre la Chine dans le Xinjiang répondent à des motivations politiques et réflètent la mentalité coloniale d’une partie des membres de la communauté internationale.
D’autre part, les Africains sont convaincus que la virulence récurrente de ces attaques est due au rôle stratégique joué désormais par le Xinjiang dans le projet chinois des Nouvelles Routes de la Soie. Alors que l’amité sino-africaine entre dans une nouvelle ère de coopération stratégique en vue de la construction d’une communauté de destin Chine-Afrique de haut niveau portée par une grande vague de modernisation du Sud global22, l’Afrique et la Chine redéfinissent ensemble les règles de la gouvernance mondiale et posent les fondements d’un nouvel ordre international juste et équitable.
Références bibliographiques
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- Singh, A. (2020), ‘Inside the World Uyghur Congress: The US-backed right-wing regime change network seeking the ‘fall of China’’’, The Grayzone, 5 march 2020.
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- Xi, J. (2019), The Belt and Road Initiative, Foreign Language Press, Beijing.
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- http://www.cvce.eu/obj/la_conference_de_bandung-fr-3da59f16-567b-4b2d-8060-4c2482e56dd9.html
- ‘‘African diplomats visit Xinjiang, express firm support for China’s justified stance on the region’’, Global Times, 3 february 2023. (https://ww.globaltimes.cn/page/202302/1284766.shtml).
Léon-Marie NKOLO NDJODO,
Maître de conférences à l’Université de Maroua.
École normale supérieure
Notes
1 La résolution 2758 (XXVI) de l’Assemblée générale des Nations unies de 1971 porte sur le rétablissement des droits légitimes de la République populaire de Chine à l’Organisation des Nations Unies. On peut lire ceci: «L’assemblée générale,
Rappelant les Principe de la Charte des Nations Unies,
Considérant que le rétablissement des droit légitimes de la République populaire de Chine est indispensable à la sauvegarde de la Charte des Nations et à la cause que l’Organisation doit servir conformément à la Charte,
Reconnaissant que les représentants du Gouvernement de la République populaire de Chine sont les seuls représentants légitimes de la Chine à l’Orgnaisation des Nations UNies et que la République populaire de Chine est un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité,
Décide le rétablissement de la République populaire de Chine dans tous ses droits et la reconnaissance des représentants de son gouvernement comme les seuls représentants légitimes de la Chine à l’Organisation des Nations Unies, ainsi que l’expulsion immédiate des représentants de Tchang Kaï-chek du siège qu’ils occupent illégalement à l’Organisation des Nations Unies et dans tous les organismes qui s’y rattachent». https://documents.un.org
2 A. Ettinger, La Chine, un ennemi fabriqué par la propagande?, La Route de la Soie – Editions, 2024.
3 Sur les allégations mensongères sur le Xinjiang, lire A. Bouc, ‘‘Les Droits de l’homme en Chine’’, in Les droits de l’homme dans le monde, N° 129, novembre 2019.
4 Il faut rappeler que le 11 décembre 2018, le SDIR (Sous-comité des droits internationaux de la personne) de la Chambre des Communes du Canada avait déjà commis un rapport sur la «Situation des droits de la personne humaine du peuple ouïghours», dans lequel étaient dénoncés la suppression de l’identité ouighoure, les camps de rééducation politique dans le Xinjiang, les lois contre la terreur d’une portée excessive ciblant la minorité musulmane. https://www.noscommunes.ca/DocumentViewer/fr/42-1/SDIR/communique-de-presse/10193019
5 www.amnesty.org
6 Lire le Communiqué Final de la Conférence Afro-asiatique de Bandung, http://www.cvce.eu/obj/la_conference_de_bandung-fr-3da59f16-567b-4b2d-8060-4c2482e56dd9.html
7 P. Nantulya, Le rôle de l’Afrique dans la stratégie de multilatéralisme de la Chine, Centre d’Etudes Stratégiques de l’Afrique, 2023.
8 Le concept de Renaissance, de Rajeunissement ou de Renouveau de la Chine est associé au «Rêve de la Nation Chinoise»: édifier une société de moyenne prospérité à tous égards pour le centenaire de la création du Parti communiste chinois (2021) et bâtir un pays socialiste moderne, puissant, démocratique, culturellement avancé et harmonieux pour le centenaire de la fondation de la République populaire de Chine (2049). Lire Xi Jinping (2014: pp. 37-70).
9 Cf. M. Julienne et S. Hanck, «Diplomatie chinoise: de l’«esprit combattant» au «loup guerrier», in Politique étrangère, 2021/1, pp. 103-118.
10 Lire W.E.B Dubois, «China and Africa», Peking Review, March, 1959, pp. 10-15.
11 https://www.ohchr.org
12 La Chine, à son tour, a appuyé l’Afrique dans de nombreux domaines dans les instances onusiennes. Elle a aidé les ressortissants africains à remporter des élections pour diriger quatre agences des Nations unies; elle a parrainé en 2016 le Fonds d’affectation spéciale des Nations Unies pour la paix et le développement avec une contribution de 200 millions de dollars US; elle a mis en 2018 une force d’intervention de 8000 hommes à la disposition de l’ONU, principalement stationnée sur des théâtres d’opération africains; en 2018/2019, elle aurait fait pression en faveur de l’Afrique pour éliminer le financement des observateurs des droits humains au sein des missions de l’ONU, réduire les nombre d’observateurs issus des ONGs au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, notamment dans les missions en RCA, RDC, Mali, Soudan du Sud.
13 D’ores et déjà, les combattants ouighours ayant joué un rôle déterminant dans le renversement du pouvoir syrien par des islamistes menacent de porter le djijad sur le territoire de la Chine.
14 A. Macleod, ‘‘In 2018, The US Was at War With Uyghur Terrorists, Now it Claims They Don’t Even exist’’, Mintpress News, 1er mai 2021. (https://ww.mintpressnews.com/us-was-at-war-uyghur-terrorists-now-claims-etim-doesnt-exist/276916/).
15 T. O’Connor, ‘‘Exclusive: Despite China’s pressure on Taliban, Uyghur Separatists See Opportunity in Afghanistan’’, Newsweek, 10 september 2021. (https://www.newsweek.com/exclusive-despite-china-pressure-taliban-uighursepararatists-see-opportunity-afghanistan-1627650).
16 A. Singh, ‘Inside the World Uyghur Congress: The US-backed right-wing regime change network seeking the ‘fall of China’’’, The Grayzone, 5 march 2020.
17 Dan Cohen, «Basée aux Etats-Unis, les dirigeants du réseau sépératiste ouïghour refusent de prendre prendre position pour les Palestiniens», La Gazette du citoyen, 22 avril 2021 (http://lagazetteducitoyen.over.blog.com/2021/04/basesaux-etats-unis-les-dirigeants-du-reseau-separatiste-ouighour-refusent-de-prendreposition-pour-les-palestiniens.html?
18 https://asia.nikei.com/Politics/International-relations/US-China-tensions/Details-of-sweeping-effort-to-counter-China-emerge-in-US-Senate
19 L. Wilkerson cité par A. Ettinger (2024).
20 Le retour de la nouvelle administration Trump à la doctrine Monroe semble accentuer cette tendance. La volonté manif»estée par les États-Unis d’Amérique de recréer des sphères d’influence dans lesquelles chaque grande puissance (États-Unis, Chine, Russie) exercerait sa domination exclusive selon la théorie du «Choc des Civilisations», s’avère être le défi le plus sérieux auquel sont confrontés les Nouvelles Routes de la Soie et le projet chinois d’une mondialisation dirigée par les peuples.
21 ‘‘African diplomats visit Xinjiang, express firm support for China’s justified stance on the region’’, Global Times, 3 february 2023. (https://ww.globaltimes.cn/page/202302/1284766.shtml).
22 La grande vague de modernisation du Sud global a été annoncée par le Président XI Jinping au Forum sur la Coopération Chine-Afrique du 9 septembre 2024, à Beijing.